Extractions judiciaires: chronique d’un échec annoncé. Lettre ouverte au DAP

Le SNDP – CFDT vous informe sur l’actualité du secteur pénitentiaire

Le 20 septembre 2011

Extractions judiciaires : chronique d’un échec annoncé

Lettre ouverte au Directeur de l’Administration
Pénitentiaire

 

            Monsieur le Préfet, Directeur de l’Administration Pénitentiaire, 

 

La décision politique du transfert des charges des forces de l’ordre vers l’administration
pénitentiaire, bien qu’insuffisamment réfléchie, semble acquise.

Une réforme de cette ampleur, aux enjeux si importants, exige non pas la simple acceptation de cette décision, mais la mise en œuvre de tous les leviers techniques, juridiques, humains et financiers pour
qu’elle ne s’opère pas au détriment de l’AP, de la sécurité des personnels et de la société.

Le Syndicat National des Directeurs Pénitentiaires, à l’instar des autres professionnelles de personnels de direction, n’a pas été associé la réflexion entourant les conditions de la reprise des missions d’extractions
judiciaires.

Nous déplorons ce défaut de concertation et d’information, s’agissant d’un sujet si sensible et si prégnant. Que la matière soit mouvante et le calendrier serré ne saurait justifier la méthode de travail choisie. De plus, la communication sur le sujet apparaît grandement insuffisante, tant vis-à-vis des personnels de
l’Administration Pénitentiaire que des acteurs extérieurs.

Le SNDP s’alarme de l’improvisation des expérimentations, de l’indigence de la réflexion quant aux réels changements culturels induits par cette réforme et du peu de considération des autres administrations de l’État qui déjà, sur le terrain, anticipent la mise en œuvre de ce transfert.

Le SNDP entend provoquer le débat et rappeler que cette réforme – historique – doit enfin prendre sens et cohérence, qu’elle n’est pas que « transfert de charges ».

A l’exception d’une réunion à l’ordre du jour à la Prévert, le 5 avril 2011, que nos collègues de FO-Direction avaient boycottée; dans notre compte-rendu nous écrivions entre autres: « Pour le SNDP, l’intention est louable mais il apparaît très optimiste de penser pouvoir changer les pratiques là où l’Intérieur
a semble-t-il échoué à le faire pendant des décennies. »

> L’insuffisance dramatique des moyens
alloués

Sur les moyens matériels, toujours aucune précision. Y aura-t-il une reprise des matériels
roulants ? Quelles modalités de gestion et d’entretien ? Quel budget alloué à l’AP pour leur renouvellement ?

Jusqu’alors, la DAP ne nous a guère rassurés en se contentant d’une vague formule : « des véhicules spécifiques seront mis à disposition pour accomplir les EJ ». Or, les premiers jours d’expérimentation laissent entrevoir des véhicules fournis par les forces de l’ordre, inadaptés car trop volumineux et inconfortables pour les personnes détenues.

L’équipement des agents parait tout aussi problématique : moyens de communication, armement, uniformes, protection balistique et création de locaux pour les équipes… En un laps de temps
si court? avec si peu de moyens alloués dans ce cadre ?

Il est urgent de communiquer sur les moyens dont dispose l’AP pour faire face à ces investissements nécessaires et de renégocier les conditions matérielles et financières de la reprise de ces missions.

Les carences en termes de moyens humains se révèlent honteusement criantes.

En termes numériques tout d’abord, la litote utilisée dans votre note du 26 août dernier présentant le « caractère contraint des effectifs alloués » est significative : la fameuse position de force du Ministère de la Justice au cours de cette négociation nous aura permis d’être gracieusement dotés de 800 emplois pour faire face à ces nouvelles missions. Rappelons que les besoins avaient été évalués
initialement par les forces de l’ordre à presque 3000 agents. Il est vrai qu’il s’agissait alors de quantifier le fardeau de missions  « indues » de l’Administration Pénitentiaire pesant sur les forces de l’ordre…

Si le principe d’un prêt de main forte des forces de l’ordre est validé, celui-ci se limite, pour l’année 2011, à une durée maximale de … 15 jours! Il s’agit bien ici de limiter par avance ces renforts. C’est inacceptable d’autant plus que le relevé de conclusions DAP/DGPN/DGGN diffusé par la DAP le 11 mai 2011 ne prévoit aucune disposition pour les années ultérieures. Quel serait, à cet égard, le degré de bonne volonté du ministère de l’Intérieur à venir renforcer une escorte judiciaire, devenue pénitentiaire, sachant qu’il nous est déjà opposé par les préfectures l’existence des Équipes Régionales d’Intervention et de Sécurité ? Très vite, les futures forces pénitentiaires de transfert seront ainsi sollicitées pour pallier ces refus de prêt de main forte de la police ou de la gendarmerie dans le cadre d’extractions médicales et de gardes statiques.

Quid, par ailleurs, de l’impact réel de ces 800 créations de poste au sein de l’AP ? S’agit-il de réelles créations, ou de tours de passe-passe RH permettant d’afficher une création nette tout en
prélevant ces emplois sur les besoins préexistants des services déconcentrés ? Le constat actuel des vacances d’emploidevant être actuellement priorisées dans l’ensemble des corps lors des diverses CAP pose la question de la capacité de la DAP à assurer le remplacement de ses personnels,
à pourvoir les créations de poste, à assurer la prise en compte des effets des réformes multiples que tous nous travaillons à mettre en œuvre au quotidien.

La DAP doit impérativement fournir des explications claires, en toute transparence
sur ces modalités RH et budgétaires.

A l’heure où les équipes dédiées aux transferts de l’UHSI de Nancy sont redéployées pour assurer les extractions judiciaires, et où, dans les premières régions ayant « basculé » le 5 septembre, 1 à 2
extractions sur 3 ne peuvent être assurées, faute d’effectifs, il est urgent, de renégocier les effectifs alloués dans ce cadre et de les mettre en adéquation avec le volume des tâches.

Les Pôles de Rattachement des Extractions Judiciaires (PREJ) : pour un véritable statut et une composition efficiente

Nouvelles entités créées par vos services pour assurer et réguler cette reprise de charges, les PREJ ne pourront, en l’état, assurer correctement leurs missions et constituer des perspectives porteuses de
sens pour les personnels pénitentiaires.

Les postes d’agents d’escorte doivent impérativement devenir des postes profilés et être réservés à des professionnels ayant a minima quelques années de service à leur actif.  Selon la fiche de poste EMS2  diffusée en mars 2011, les postes d’agent d’escorte ne seront pas profilés, ce qui emporte
plusieurs conséquences : pas de candidature motivée, pas d’entretien de recrutement, choix en CAP selon des critères … obscurs. En cas d’insuffisance de candidatures présentées et/ou retenues, lesdits postes seront offerts aux sortants d’école, ce qui semble aberrant, tant en termes de sens donné au
métier de surveillant, qu’au vu des spécificités des missions confiées aux agents dans ce cadre. Et ce n’est pas l’appel envisagé à la réserve pénitentiaire, qui saurait rendre le dispositif crédible, tout en étant par
ailleurs d’une légalité douteuse.

De nouveaux métiers pénitentiaires sont à venir. C’est une évidence et c’est bien l’un des
éléments principaux avancés par les personnels de surveillance souhaitant une diversification de leurs missions. Pour que la réforme ait un sens, qu’elle soit cohérente avec l’esprit et les enjeux qu’elle sous-tend, ces nouveaux métiers doivent donner lieu à la création de postes fléchés et à des CAP de
spécialistes, comme  le sont les postes de moniteurs de sports ou des gradés formateurs. Cette spécialisation serait à la fois un rempart protecteur contre la tentation d’user des personnels de
transfert à d’autres fins, et permettrait de fidéliser des agents formés, volontaires et motivés.

Il ne faut pas laisser cette opportunité de remobilisation dans la carrière des agents tandis que, déjà, au sein des régions expérimentales, des voix se font entendre pour dénoncer un manque de
sérieux des formations, des confusions dans la doctrine d’emploi ou un manque de reconnaissance par les partenaires judiciaires et les forces de l’ordre.

La fiche de poste de l’officier régulateur établie par EMS en mai 2011 prévoit son rattachement aux Départements Sécurité Détention des DISP. Or, la création d’un seul poste par DISP est prévue ;
cela pose un problème évident quant à son remplacement, à effectif constant, en
termes de pure GRH (ETPT), et de formation de l’agent chargé de le remplacer.
Un renfort en personnel est incontournable, vu la charge de travail pesant déjà
sur les DSD. En outre, seul le rattachement global aux DSD, et non à l’unité de
gestion de la détention comme envisagé, permettra aux DSD de disposer de la
marge de manœuvre suffisante pour positionner l’officier régulateur de la façon
la plus optimale, en fonction des contraintes et des effectifs de chaque
département.

Tous les personnels de surveillance et d’encadrement affectés à l’Autorité de Régulation et de Programmation des Extractions Judiciaires (ARPEJ) doivent recevoir une formation complète:
procédure judiciaire, documents administratifs, usage des armes, conduite, gestion de la voie publique
et maintien de l’ordre auxquelles il faut ajouter un soutien psychologique, par exemple dans certains cas de procès d’assises.

Toujours dans notre compte-rendu de la réunion du 5 avril, nous écrivions:
« Le SNDP demande que la formation continue en matière de tir  soit expressément prévue et quantifiée dans les textes définitifs régissant cette nouvelle fonction (un certain nombre
d’établissement rencontrent actuellement de grandes difficultés pour assurer le
maintien de ces compétences professionnelles des surveillants, ce qui est dommageable et serait dramatique s’agissant de personnels armés sur la voie publique). »

Or, les premières formations – d’une courte durée de 3 semaines – ne comprennent que trois modules : organisation, préparation et réalisation des extractions judiciaires;  techniques opérationnelles; usage des armes. La formation dispensée aux agents d’escorte doit impérativement être allongée,
approfondie et diversifiée.

Enfin, en lien avec la question des moyens humains et matériels, le statut des ARPEJ est fondamental : celles-ci doivent être des entités autonomes.

Mobilisés à temps complet sur les missions de transferts, les cadres et agents de ces entités auraient pleinement conscience des nouveaux enjeux, si différents de nos missions actuelles. Le pilotage en serait simplifié et plus sain, indépendant des établissements et de leurs contraintes d’organisation, sans risque de prélèvement sur des structures souvent déjà exsangues en personnels.

Enfin, si le maillage territorial des forces de l’ordre est aujourd’hui tout à fait efficace, il est quasiment  inexistant dans le cadre pénitentiaire. A notre sens, là aussi, la création d’entités autonomes
spécialisées permettrait à l’AP de développer son propre maillage  du territoire national.

L’impossible calendrier prévisionnel 

Le calendrier global est beaucoup trop serré : déploiement à une rapidité
déconcertante, absence totale de recul sur les premières expérimentations,
montage des formations sans le bénéfice du premier retour d’expérience…

Quant au calendrier de reprise progressive des missions, celui-ci est intenable et l’annonce de la révision
« à la marge » du projet ubuesque diffusé en juin 2011 ne saurait nous rassurer…

La reprise des extractions judiciaires ne peut s’opérer en l’état : manque
criant de moyens, manque total de recul sur les expérimentions pour en dégager
une doctrine d’emploi crédible, calendrier si serré qu’il ne peut conduire à
une reprise efficace et sereine des missions, absence de stratégie à long terme
sur les structures d’appui ou la spécialisation des agents…il est
indispensable de suspendre le processus !

Le moment est pourtant historique ; peu d’administrations connaissent un tel bouleversement. Il
ne s’agirait pas que ce transfert de charges anéantisse la motivation de personnels dévoués à leur mission de service public.

Les directeurs des services pénitentiaires se trouvent aujourd’hui, dans les
régions expérimentales, en première ligne pour gérer les inepties, négocier
avec les forces de l’ordre, voire les juridictions. Ils aimeraient pouvoir
compter sur votre application, Monsieur le Directeur de l’Administration
Pénitentiaire, à tenter de sortir de l’ornière et de reprendre un véritable
travail préparatoire.

Pour le SNDP, il ne peut s’agir que de finaliser les premières expérimentations et de consacrer la fin de
l’année 2011 à l’élaboration d’une réelle doctrine d’emploi et à préparer les nombreuses mesures et procédures nécessaires pour que cette reprise s’opère dans des conditions optimales.

C’est seulement à l’issue de ce travail préparatoire, de fond et mené sans précipitation, qu’un calendrier de
reprise progressive des extractions pourra être établi, avec, en parallèle, la définition des moyens nécessaires, de la politique de recrutement et de formation des personnels concernés.

En espérant la tenue d’un vrai débat doctrinal, le SNDP tient à prendre une part active dans la redéfinition
du cadre de la reprise des extractions judiciaires. En tant qu’organisation syndicale des directeurs des services pénitentiaires, directement impactés par cette réforme, notre mobilisation autour de ce sujet ne peut que contribuer à sa réussite.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Préfet, Directeur de l’Administration Pénitentiaire, l’expression de ma
respectueuse considération.

P/
le SNDP

Jean-Michel
Dejenne

Premier
secrétaire

Lettre ouverte au DAP sur les extractions judiciaires septembre 2011

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