Monsieur le Président de la République,
« Le moment que nous vivons est un ébranlement intime et collectif. Sachons le vivre comme tel. Il
nous rappelle que nous sommes vulnérables, nous l’avions sans doute oublié. Ne cherchons pas
tout de suite à y trouver la confirmation de ce en quoi nous avions toujours cru. Non. Sachons, dans
ce moment, sortir des sentiers battus, des idéologies, nous réinventer – et moi le premier ». Tels
sont les mots que vous avez prononcés à l’occasion de votre discours du 13 avril dernier adressé à
l’ensemble de nos concitoyens.
Avec vous, le SNDP-CFDT souhaite se saisir de ce moment unique qui, dans la douleur, nous est
offert pour nous réinventer.
Notre institution judiciaire se paie souvent de principes, philosophiquement incontestables. Nous
citerons au hasard la séparation entre les prévenus et les condamnés, la présomption d’innocence.
Les directeurs pénitentiaires s’appliquent quotidiennement à les respecter en dépit des contraintes
que nous impose la surpopulation. Leur déclinaison concrète en termes de prise en charge demeure
toutefois très limitée.
Le droit à l’encellulement individuel est quant à lui consciencieusement bafoué par des siècles
d’habitude et de résignation. Notre justice pénale reste enlisée dans son petit confort et dans ses
fausses certitudes. Nous tentons de nous rassurer en prenant soin de garder les yeux fermés sur les
questions cruciales qui s’imposent à nous : quelle efficacité pour cette justice pénale à bout de
souffle et dépassée ?
Aujourd’hui déjà, l’épidémie qui nous touche durement a balayé tous les impossibles et toutes les
frilosités : il ne sera en effet plus jamais possible de prétendre que l’encellulement individuel
constitue un objectif inatteignable, que le numerus clausus est une chimère. L’action
gouvernementale mise en œuvre pour permettre à la population détenue en France de diminuer de
près de 10 000 détenus en 1 mois le démontre et cela constitue une gigantesque espoir pour les
femmes et les hommes qui exercent au service de l’administration pénitentiaire. Et pour ce faire, le
politique a pris ses responsabilités : il a laissé les acteurs de la chaîne pénale jouer leur rôle
d’individualisation, certes dans l’urgence, avec un accompagnement pour certains insuffisant vers la
sortie souvent et ne pouvant parfois empêcher des situations précaires de s’installer hors des murs.
Mais dans bien des sites, autorités judiciaires et personnels pénitentiaires ont œuvré ensemble pour
Syndicat National des Directeurs Pénitentiaires – CFDT
Mèl : sndp.contact@gmail.com Tél 06 40 20 30 34
www.sndp-directeurs-penitentiaires.org
que la priorité sanitaire clairement affirmée soit déclinée en tenant compte de la personnalité et de la
situation sociale des personnes détenues.
Alors qu’il y a quelques semaines à peine, la cour européenne des droits de l’homme saisie des
situations de 32 personnes détenues condamnait sévèrement la France en actant que la
surpopulation constituait un problème structurel dans les prisons françaises, nous n’observions
aucune réaction politique qui viendrait enfin questionner le champ des possibles en la matière. Cette
condamnation n’a que trop peu ému. Elle constitue pourtant pour chaque personnel pénitentiaire un
affront, le sceau de l’indignité apposé sur leur action quotidienne. Car sachez le, Monsieur le
Président, les établissements pénitentiaires français vivent depuis des décennies une crise
sanitaire quotidienne, épuisante : elle a pour nom surpopulation carcérale.
Les politiques pénales depuis plus de dix ans, lorsqu’elles ne manquent pas tout simplement
d’ambition, voient leurs effets balayés par l’application inégale et parfois timorée qu’en font certains
magistrats qui ne s’en saisissent qu’à la marge, réduisant à néant toute possibilité d’évolution
d’envergure. La loi de programmation pour la justice n’échappera pas à la règle. Si la dignité des
conditions de détention et de travail des personnels constitue une priorité politique, ne laissez pas
d’autres en annihiler les effets mais confiez leur d’en appliquer le souverain principe.
Il n’est ainsi pas utile d’attendre les pleins effets de la LPJ pour se convaincre qu’une fois encore, la
plupart des juridictions n’y voient pas matière à révolutionner leurs pratiques. Comme nous l’avions
déjà proposé en commun avec l’Association Nationale des Juges de l’Application des Peines, il
conviendrait de construire un mécanisme de régulation, juridiction par juridiction, dès lors que la
surpopulation dépasse un certain niveau dans le ou les établissements du ressort.
Ce n’est pas ici l’administration pénitentiaire et ses personnels dont les conditions de travail sont
particulièrement dégradées par l’état de surpopulation qu’il faudra blâmer. Pour le SNDP-CFDT la
difficulté est à situer au niveau du fonctionnement du ministère de la justice lui-même.
Les directrices et les directeurs pénitentiaires qui gèrent au quotidien les limites et les contraintes
liées aux décisions de justice, ne sont que trop peu associés à l’élaboration des politiques pénales.
Faute de leur reconnaître cette expertise et de leur confier une plus grande responsabilité en matière
d’exécution des peines, ils font depuis plus de 10 ans le service après vente des lois pénales, et
tentent de convaincre certains magistrats du bien fondé des dispositions permettant de réduire la
surpopulation carcérale qu’elles contiennent. Les directrices et les directeurs pénitentiaires qui en
sont, eux, convaincus, constatent et subissent tous les jours le manque d’ambition dans leur mise en
œuvre.
La place des questions pénitentiaires au sein du ministère de la justice, en termes d’élaboration des
politiques publiques, est aujourd’hui trop subsidiaire. Elle n’a d’existence qu’en application d’une
politique pénale et non pour elle-même, quand les problématiques actuelles rendraient nécessaire de
lui reconnaître une existence propre. Dans un ministère peu convaincu de la nécessité de repenser
l’ensemble de son système et de s’attaquer de manière radicale aux problémes qui le détruisent
depuis de longues années désormais, comment imaginer porter une parole qui fasse suffisamment
sens pour faire apparaître cette question dans le débat public et pour faire évoluer l’opinion publique
elle-même ?
Seul le rééquilibrage de l’organisation du ministère de la justice et des responsabilités des acteurs de
l’exécution des peines permettra de lutter efficacement contre la surpopulation carcérale, et de
repenser dans ces circonstances nouvelles le sens de la peine dans la France du XXI ème siècle. Cette
solution vient d’être éprouvée !
Le tabou est désormais brisé. Vous savez le faire. La crise sanitaire vient de le démontrer. Ayez le
courage et la cohérence d’y répondre comme vous avez pu répondre, pour les personnes détenues et
pour les personnels pénitentiaires, à l’urgence de la pandémie. Il nous semble que la fonction
publique hospitalière pourrait en faire bon usage… Et comme limiter le nombre de malades ne
relève pas de vos pouvoirs, nous vous proposons plutôt de limiter le nombre de personnes détenues
et de donner toute sa place aux mesures de milieu ouvert dans la prévention de la réitération
d’infraction ainsi que dans la protection de la société.
Considérant qu’il y a désormais urgence à agir et que nous ne pouvons différer encore, aux côtés de
certains parlementaires qui travaillent dans l’ombre sur ces questions, le SNDP-CFDT demande la
création d’un secrétariat d’Etat aux questions pénitentiaires. Sa mission sera de mettre en marche la
prison et la probation du XXIème siècle. En lui accordant le préalable que constitue le numerus
clausus, vous donnerez à l’administration pénitentiaire les moyens d’entrer véritablement dans la
modernité.
Et si nous ne sommes pas entendus pour faire de l’encellulement individuel une priorité et une
urgence, nous l’exigerons par tous moyens, puisque nous savons désormais que c’est possible.
Le secrétariat national du SNDP-CFDT.