Politique pénitentiaire : A quand le courage des ambitions ?

Le SNDP – CFDT vous informe sur l’actualité du secteur pénitentiaire

L’actualité parlementaire est chargée pour l’administration pénitentiaire, ce dont on ne peut a priori que se réjouir ! Dans la pratique pourtant, certaines initiatives apparaissent plus heureuses que d’autres…

Plan 15000 : constatant que l’Etat fait mal, les parlementaires proposent de faire pire !

En dressant un constat sans appel dans un rapport du 25 mai,  les parlementaires ne nous ont donc pas déçus. L’état des lieux nous permettait à rêver d’une conclusion qui tirerait les enseignements des échecs répétés de plus de trente ans de programmes immobiliers.

Mais c’est malheureusement au moment d’être conclusive que la représentation nationale se révèle « disruptive ».

Les parlementaires constatent avec un certain pragmatisme que les programmes n’ont globalement jamais atteint les objectifs fixés, qu’il s’agisse du nombre de places effectivement créées ou des délais de livraison. Deux données illustrent assez bien leur propos :

  • Entre 1988 et 2016, la création de 33 000 places de détention a été annoncée. Seules 28 000 seront effectivement mises en service (5000 de moins que prévues soit 15 % tout de même !)
  • Sur les 7000 places du plan 15 000 qui devaient ouvrir à la fin de l’année 2022, seules 2441 ont été livrées dans les temps (un peu moins de 35 % de ce qui était programmé).

Les détenus étaient 45 420 en 1990 et 72 351 en mars 2023 (+ 59 %). Il ne faut donc pas désespérer de la Justice qui sait parfois se donner les moyens de ses ambitions !

La représentation nationale n’oublie pas que ces plans de construction successifs ont été conduits dans un contexte de restrictions budgétaires en ayant recours à des marchés de partenariat entraînant une forte croissance des dépenses consacrées aux loyers et un « effet d’éviction sur les autres dépenses de l’administration pénitentiaire ».

Rien ne sert de courir … quand on est déjà en retard !

Au début de l’année 2023, plus de 12000 places restaient à ouvrir dans le cadre du plan « 15 000 »…

On ne se hasardera pas à établir un lien de cause à effet entre les conditions de travail dans des établissements dont la surpopulation chronique est connue et le manque d’attractivité du métier de surveillant. L’important demeure l’ampleur de cette désaffection pour la profession qui s’exprime notamment dans la déperdition de candidats au fil de leur recrutement :

  • 80 % entre le nombre d’inscrits et les présents au concours de surveillant ;
  • 29 % entre les épreuves d’admissibilité et d’admission.

Concernant les alternatives à l’incarcération,  les parlementaires inventorient leur arsenal constatant que : « Ces différentes réformes ont toutefois produit des résultats qui s’avèrent limités. »

Le mot est faible de la part de rédacteurs qui viennent de rappeler les chiffres légèrement décevants de cette politique qui, nous le savons, a eu pour principal effet d’augmenter le quantum de peine moyen depuis 2016. La suite de la démonstration anticipe un plan 15 000 dont les coûts vont s’envoler, dont les recherches foncières seront compliquées, dont les délais ne seront pas respectés et qui demeurera insuffisant pour résorber la surpopulation.

Errare humanum est, perseverare diabolicum 

Que croyez-vous que nos élus déduisent de ce constat après avoir démontré sur 50 pages que le plan « 15 000 », comme les précédents, ne résoudrait rien ? La réponse est tout entière contenue dans la première proposition : Concevoir dès à présent une extension du plan « 15 000 » afin de mettre en service des places de prison supplémentaires à horizon 2030.

 La représentation nationale dissimule à peine dans ce rapport qu’elle ne croit pas une seule seconde à la solution qu’elle préconise pour assurer des conditions de détention dignes et des conditions de travail décentes.  Les parlementaires ont pourtant pris soin de joindre à leur rapport un tableau dont l’analyse est aussi aisée qu’édifiante :

Depuis 1990, les deux seuls moments de l’histoire des prisons françaises où le taux d’occupation s’est significativement rapproché des 100 % correspondent à des baisses du nombre de détenus hébergés…et jamais à des hausses de la capacité opérationnelle ! 

Le SNDP prône l’instauration d’un véritable numerus clausus

Afin de réguler ces flux, le SNDP propose d’inscrire dans la loi diverses mesures de nature structurelle :

  • l’interdiction des peines d’emprisonnement ferme inférieures à 6 mois ;
  • réflexion sur l’impact des comparutions immédiates sur la surpopulation ;
  • une simplification des différents régimes d’application des peines
  • interrogation de la représentation nationale s’interroger sur la dépénalisation/ « contraventionnalisation » de certaines infractions.

Un mécanisme reposant localement sur des cellules de veille consacrées au taux d’occupation des maisons d’arrêt du ressort

Le déclenchement par cette cellule, à l’approche d’un taux de 100% d’actions concrètes qui viendraient faire baisser le taux d’occupation :

– réductions de peine systématique sur le modèle de ce qui a été fait pendant le 1er confinement ;

– mise en place d’aménagements de peine accélérés. .

– interruption des écrous entrants une fois passé le taux d’occupation de 100% ;

Et toujours dans le même temps : DUPOND, mort es-tu ?

Notre Ministre admet son impuissance et son manque d’imagination en déclarant : « J’ai une responsabilité qui est politique. Il y a 73.000 détenus et 60.000 places. Si vous voulez qu’il n’y ait plus de surpopulation carcérale là tout de suite, il faut que je libère 13.000 détenus. Si je fais ça, j’offre à l’extrême droite un cadeau inespéré car la société française n’est pas prête à ce qu’on libère 13.000 personnes. »

Ce que Monsieur DUPOND-MORETTI se garde d’ajouter, c’est que nous sommes, personnels pénitentiaires et détenus, en train de manger notre pain blanc si l’on compte du moins sur les seules initiatives du gouvernement. Les Jeux Olympiques se doivent d’offrir au monde entier une image d’Epinal de rues propres et sures. Ordre est donné de cacher la misère comme le font les républiques bananières et les régimes autoritaires soucieux de redorer leur image à l’occasion des grands évènements internationaux. Pour « glisser la poussière sous le tapis », les effectifs des juridictions parisiennes seront renforcés, au détriment des juridictions des « territoires » (il est ringard de parler de « province ») qui devront oublier les vacances de postes en regardant les JO. Cet opium du peuple suffira-t-il ?

Les pieds dans le tapis ?

Pour Monsieur DUPOND-MORETTI, il est encore le temps de se poser les bonnes questions. Il nous semble urgent désormais de jeter un œil sous le tapis, de s’inquiéter de cette « poussière » qui s’accumule sans manifestement émouvoir Monsieur « TOUT LE MONDE ». Si nous n’avons pas la prétention de lui apprendre ce qu’est la politique, nous avions toutefois cru comprendre que gouverner c’était prévoir.

Aussi nous nous tenons donc à sa disposition pour lui expliquer :

  • ce que représente réellement pour les personnes qui y vivent et y travaillent le niveau de surpopulation auquel les prisons sont actuellement soumises ;
  • pourquoi nos établissements, nos personnels et les détenus se situent aujourd’hui dans une situation qui non seulement ne permet pas de lutter contre la récidive, contre l’insécurité mais ne permettra bientôt plus de garantir le maintien de l’ordre au sein des prisons ;
  • ce que pourrait-être une politique de régulation carcérale raisonnable, seule à même de préserver la cohérence de la chaîne pénale dont la prison ne saurait être le seul maillon répressif. Certains députés de la majorité étant manifestement et courageusement décidés à œuvrer en ce sens, nous attendons du gouvernement qu’il fasse preuve d’un courage politique au moins aussi grand.

Les professionnels de l’administration pénitentiaire que nous sommes sont prêts à bousculer leurs agendas pour accorder au Garde des Sceaux ce rendez-vous qui ne saurait attendre un horizon 2027 auquel nous renvoie sa très optimiste programmation immobilière, et encore moins 2030 que nous fixent plus angéliquement ou cyniquement les parlementaires …

Ayons enfin le courage des ambitions pour enfin porter haut, et collectivement, la prise en charge des personnes sous main de justice de notre pays !

 

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