A la recherche de la prime perdue
Le 6 décembre 2012, un quotidien de la presse régionale parmi les plus lus et les plus diffusés en France relatait dans un article le mouvement de protestation des personnels d’une maison d’arrêt surencombrée qui demandaient, à juste titre, le versement de la prime de 100€ que l’administration attribue spécifiquement aux agents des établissements qui se trouvent dans cette situation.
S’il est regrettable que ces personnels aient menacé de bloquer leur établissement pour obtenir leur dû, il est inadmissible et mensonger de laisser entendre que le versement de cette prime était incertain au motif que le budget de l’administration pénitentiaire en fin d’année serait grevé par le versement des « primes d’objectifs de certains directeurs de centre pénitentiaire (qui) peuvent atteindre 33 000 à 80 000€ ».
La bonne foi du journaliste auteur de l’article ne saurait être mise en cause : il a fait confiance à sa source.
La bonne foi de la source doit être présumée : le surencombrement d’une maison d’arrêt aggrave considérablement les conditions de travail de tous les personnels : de surveillance, d’insertion et de probation, techniques… et de direction, d’où sans doute des approximations.
Quelques explications donc, à tête reposée, sans esprit de polémique, mais dans un souci de vérité.
La fiche de paie d’un directeur des services pénitentiaires est pourtant simple à lire, et à comprendre. Elle comporte trois lignes, qui correspondent à son traitement, complété par deux indemnités. Trois lignes et pas une de plus : pas de rémunération des heures supplémentaires par exemple.
Comme tous les fonctionnaires, le traitement du D.S.P est fonction de son grade, et de son ancienneté dans l’administration : il se traduit par des points d’indice, qui fondent son traitement brut.
Comme tous les fonctionnaires, le traitement du D.S.P est complété par un régime indemnitaire. Le statut spécial qui régit l’ensemble des personnels de l’administration pénitentiaire se traduit par l’attribution d’une « indemnité de sujétion spéciale ». Pour information, l’I.S.S. des directeurs correspond à 21% de leur traitement brut, celle des personnels de surveillance correspond à 24% de leur traitement brut. Seuls les directeurs techniques bénéficient d’une I.S.S inférieure à celle octroyée aux D.S.P, à savoir 20% de leur traitement brut.
En plus de l’I.S.S, le régime indemnitaire de tous les fonctionnaires de l’administration pénitentiaire est complété par une seconde prime, dont le nom et le montant varient en fonction des corps et des grades. Pour les D.S.P, il s’agit de l’indemnité de fonctions et d’objectifs (I.F.O).
Son montant est fixé annuellement, et varie en fonction des postes occupés par les D.S.P Elle est versée selon un rythme mensuel.
Au sommet de la pyramide de l’I.F.O, trois personnes : les directeurs interrégionaux des trois plus importantes D.I.S.P, dont le montant annuel de l’I.F.O est fixé à 12 400€.
Au bas de la pyramide, les D.S.P qui travaillent en D.I.S.P, sans assurer des fonctions de responsable de département, dont le montant annuel de l’I.F.O est fixé à 2 800€.
Pour être le plus proche de la réalité vécue par les DSP, il convient de préciser que plus de la moitié des D.S.P. travaille en établissement, sans assurer des fonctions de chef d’établissement ou d’adjoint : ils touchent une I.F.O annuelle de… 3 350€.
Mais où sont donc alors passés ces 33 000€ ? Le lecteur attentif aura en effet compris que les 80 000€ tant convoités se sont déjà envolés depuis longtemps…
Revenons aux déclarations de notre « source », pour percer ce mystère. La « source » évoque des « primes d’objectifs »… Mais c’est bien sûr ! Le décret 2007-1776 du 17 décembre 2007 prévoit dans son article 9 la modulation de l’I.F.O selon un coefficient de 0 à 4 pour les D.S.P logés et de 0 à 8 pour les D.S.P non logés … Et cette modulation est versée en fin d’année, cette prime existe donc bel et bien ! C.Q.F.D, fermez le ban et à vos calculatrices !
Fin de l’enquête pour la « source ».
Sauf que… à combien s’élève réellement la prime versée aux D.S.P ? Rassurez-vous, l’enquête touche à sa fin, mais vous n’en aurez pas pour votre argent…
En effet, depuis sa création, l’I.F.O versée aux D.S.P est chaque année modulée à hauteur, en moyenne, de 1.2 de son montant annuel. Et contrairement aux dispositions du décret précité, la modulation moyenne est exactement la même, que le D.S.P bénéficie ou non d’un logement.
Les D.S.P n’ont rien à cacher. L’immense majorité des D.S.P touche en fin d’année une prime dont le montant est inférieur à 1000€.
Un exemple, un seul, et les fiches de paie sont à votre disposition si, comme Saint-Thomas, vous ne croyez que ce que vous voyez : un D.S.P qui assure les fonctions d’adjoint au chef d’établissement d’une maison d’arrêt dont la capacité d’accueil théorique est de 400 places, mais qui accueille en réalité plus de 600 détenus, et qui a sous sa responsabilité près de 200 personnels pénitentiaires a perçu en 2009, 2010 et 2011 une « prime » de fin d’année de 780€.
Mais au fait, tous les chiffres relatifs à la grille indiciaire et au régime indemnitaire des D.S.P sont accessibles sur le site du ministère de la Justice. Quant au montant de notre modulation de fin d’année, notre « prime », il suffisait de nous le demander. Nous n’avons rien à cacher, nous n’avons volé personne.
Les directeurs des services pénitentiaires le savent : bien mal acquis ne profite jamais.
Et un citoyen bien informé en vaut deux.