NOUVEAU GOUVERNEMENT, NOUVEAU MINISTRE, ET BUDGET A REVOIR
Le garde des Sceaux sortant ne cessait de s’en féliciter : depuis plusieurs années, le budget de la
justice en général, et celui de l’administration pénitentiaire en particulier, avait atteint des records !
Malheureusement, cette réalité n’est que la partie émergée de l’iceberg pénitentiaire et il faudrait
sérieusement méconnaitre nos réalités quotidiennes pour ne pas voir le tour de passe-passe que
constituait chaque année la présentation du budget.
Ce serait également manquer de recul historique que de ne pas mesurer en quoi les choix stratégiques
qui le sous-tendaient n’étaient qu’une adaptation nécessaire à la politique du tout carcéral : budgets
essentiellement consacrés à la construction de nouvelles prisons, à la maintenance des établissements
existants et à l’amélioration de la sécurité des lieux. Ces choix ont délibérément laissé de côté les
SPIP et même quelques politiques poursuivies par le précédent garde à l’intérieur des murs, comme
le déploiement du surveillant acteur ou l’objectif d’atteindre 50 % de détenus bénéficiant d’une
activité rémunérée d’ici 2027, toutes deux à construire à coût constant…
A l’heure où le projet de loi de finances (PLF) inclut un budget Justice en baisse de 500 millions par
rapport aux attendus de la loi de programmation Justice 2023-2027 et dans l’attente des
« rehaussements de crédits » que le gouvernement s’engagerait à défendre par amendement, le SNDP
Cfdt souhaiterait poser quelques priorités.
Des évolutions budgétaires et statutaires louables mais qui ne doivent pas cacher des problématiques persistantes
Le budget 2024 avait consacré des avancées indemnitaires et indiciaires remarquables pour la plupart
des corps de notre administration, ce dont il convenait de se féliciter, celui de 2025 poursuivra-t ’il
sur cette voie ? Car les avancées obtenues l’an passé sont l’arbre qui a caché la forêt :
– S’agissant du corps des directeurs pénitentiaires d’insertion et de probation, la réforme mise en
œuvre en janvier dernier est un véritable pis-aller et ne saurait être saluée par le SNDP-Cfdt, qui s’est
déjà exprimé sur le sujet. Ce chantier nécessite d’être poursuivi afin que les DPIP ne soient pas les
grands oubliés des métiers pénitentiaires, au risque que les jeunes collègues partent, comme nous le
relevons à chaque campagne de mobilité avec un nombre croissants de postes vacants et des services
quasi exclusivement encadrés par des contractuels ;
– Concernant les DSP, si la revalorisation obtenue est appréciée, il s’agit également d’une attente
ancienne négociée depuis plusieurs années. Cette réforme indiciaire devait venir concrétiser le
passage du corps en A+, en alignant la rémunération sur les autres corps de cette catégorie. Ces
derniers ayant entretemps obtenu des avancées significatives, les DSP restent donc à la traine et cela
aura fatalement un impact pour le corps et pour l’institution : ils continueront à partir par le biais des
détachements comme ils le faisaient avant le passage en A+, sans que le retour dans le corps ou les
détachements entrants d’autres agents A+ n’aient été rendus attractifs.
Le recrutement : l’administration pénitentiaire, institution régalienne en phase d’ubérisation ?
Une partie particulièrement conséquente du budget de l’année en cours est absorbée par les dépenses
de personnels. Le précédent garde des Sceaux s’était là-aussi tout particulièrement félicité de
l’augmentation des effectifs. Rendez-vous compte : 599 créations d’emploi en 2024 ! Si l’on retire
les postes d’ores et déjà fléchés (1/3 pour les ouvertures d’établissements, 1/3 pour la finalisation de
la reprise des extractions judiciaires, etc…), il en est resté une création nette, tous corps confondus,
de 149 postes dédiés à pourvoir les vacances. La machine pénitentiaire, dont les missions s’élargissent
sans cesse, est un ogre qui dévore des millions d’euros chaque année et qui ne cesse pourtant de
s’amaigrir en personnel.
Pour 2025, le PLF prévoit 619 postes supplémentaires pour tout le Ministère dont 349 pour notre
administration alors que le maintien des objectifs de recrutement de magistrats et de greffiers est
toujours présenté comme une priorité. Les ressources humaines ne sont toujours pas à la hauteur des
taches qui nous sont confiées, sans cesse plus nombreuses, sans cesse plus complexes…
Pour pallier ces difficultés, le recours aux contractuels est désormais admis comme la norme pour
l’ensemble des corps sauf ceux en uniforme (dans l’attente du recrutement des surveillants adjoints).
Des personnels bénéficiant de contrats de faible durée, d’une instabilité professionnelle importante et
souvent de salaires peu attractifs. Des contractuels qu’il faut former dans des conditions de travail
déjà difficiles et qui partent vers d’autres horizons dès qu’ils en ont la possibilité, impliquant des
efforts sans cesse renouvelés des professionnels qui les accueillent et les forment, un autre gouffre
sans fond. Nous ne les fidélisons pas, nous les démotivons même.
Comment faire fonctionner des services métiers lorsque ce type de recrutement atteint des proportions
démesurées ? Que penser de bureaux opérationnels des DISP ou l’administration centrale qui ne
compte quasiment plus de personnels pénitentiaires ? Comment piloter un SPIP dont l’équipe de
direction est largement composée de directeurs contractuels n’ayant bénéficié d’aucune formation ?
Comment, dans de telles conditions, se pensent, dans ces services, la prise en charge du public
aujourd’hui et les métiers pénitentiaires de demain ?
Le gouffre financier de l’immobilier, alpha et oméga de la politique pénale
Après 539 millions d’euros consacrés en 2024 à l’ouverture de 570 nouvelles places, l’immobilier
pénitentiaire poursuivra sa course folle en 2025. Mais vers quoi court-il ? Comment se satisfaire d’une
telle dépense lorsque l’on sait que, faute de politique ambitieuse et réaliste de régulation carcérale, la
population pénale a encore augmenté de plus de 3917 depuis le début de l’année, portant à 79 747 le
nombre de personnes détenues au 10 octobre 2024 pour 62 074 places ?
Dans ces circonstances, doit-on vraiment se féliciter de ces budgets records qui ont fatalement
entrainé une nouvelle dégradation majeure de la situation des établissements pénitentiaires par le
fléchage disproportionné des moyens budgétaires vers l’immobilier ?
Le SNDP-Cfdt réitère sa demande de voir mise en œuvre une politique de régulation carcérale
volontariste et contraignante afin de sortir de cet interminable cercle vicieux qui dégrade les
conditions de travail comme les conditions de détention ainsi que l’efficacité de la justice et de la
peine.
Il rejette la mise en œuvre de très courtes peines de prison qui va complètement à contresens de
l’intérêt des personnels comme de la lutte contre la récidive. Nos compatriotes sont-ils vraiment prêts
à financer encore de nouveaux établissements, cette fois-ci dédiés à des peines de quelques semaines,
qui ne servent qu’à satisfaire une vision court-termiste de la lutte contre la délinquance ?
Des arbitrages budgétaires qui questionnent
Les choix budgétaires nous semblent également devoir être questionnés d’un point de vue métier.
Une part conséquente du budget est chaque année attribuée à du matériel de sécurité dite passive :
déploiement des caméras individuelles, poursuite du déploiement du brouillage de la téléphonie
mobile, déploiement de SAGEO, etc… Si, en soi, aucune de ces évolutions ne nous apparaît inutile
comment ne pas se demander si nous ne tombons pas dans une forme de surenchère technologique
au détriment de la sécurité active qui est son complément (gestes professionnels encadrées par des
procédures clairement définies et maitrisées, meilleure connaissance de la population pénale,
présence en nombre de personnels sur les coursives et dans les SPIP…). Nos progiciels métiers sont
dépassés ou dysfonctionnent, qu’il s’agisse de GENESIS ou d’APPI et de son successeur PRISME
duquel nous ne recevons plus ni son ni image, du DOT, qui donne des signes de faiblesse, de PRINCE
qui a rendu l’âme. Ces outils de travail basiques nous font défaut et il nous faudrait déployer sans fin
de nouveaux outils technologiques ? Un effectif de détenus qui ne dépasserait pas 100% ne serait-il
pas plus adapté qu’une caméra piéton pour lutter contre les violences ?
Et face à tout cela, quelques pourcents du budget consacrés à la réinsertion (7% en 2024), avec pour
ambition de maintenir péniblement l’existant dans un contexte où les bénéficiaires sont sans cesse
plus nombreux.
La politique pénitentiaire ne se résume pas à des moyens, sans que l’on s’interroge sur les fins. A
l’heure où il faut s’interroger sur les économies à réaliser, le SNDP demande à ce que des choix
politiques forts et ambitieux viennent nourrir le débat parlementaire qui débutera dans une semaine.
Nous, directeurs pénitentiaires, faisons ce métier avec ambition et dévouement. Nous avons le sens
du service public et souhaitons agir pour la sécurité de notre société, au bénéfice de tous. Il est dès
lors urgent de changer de cap et de s’interroger sur nos priorités et sur l’efficacité à moyen terme des
politiques mises en œuvre.
Nous avons des propositions constructives et sommes prêts à les présenter au nouveau ministre. En
tout état de cause, ne pas changer de politique serait irresponsable et provoquerait inévitablement de
nouvelles crises.
Le secrétariat national du SNDP-Cfdt