COURTES PEINES, CHANTIER EN COURS

Le SNDP – CFDT vous informe sur l’actualité du secteur pénitentiaire

Paris, le 8 janvier 2025

COURTES PEINES, CHANTIER EN COURS

Le SNDP-Cfdt a été très attentif aux nombreuses annonces du nouveau garde des Sceaux, Gérald DARMANIN, depuis sa nomination le 23 décembre dernier. Parmi elles, la promotion des courtes peines de prison a été largement reprise dans les médias, dans un cadre plus général de durcissement de la chaîne pénale.

Le ministre souhaite que les courtes peines soient réellement exécutées, ce qui peut se faire à droit constant sans appeler d’observation particulière de notre part. Aujourd’hui, les magistrats prononcent déjà des courtes peines d’incarcération, de quelques mois à un an : une partie d’entre elles est exécutée en détention ordinaire, une autre partie est exécutée dans le cadre d’un aménagement de peine, immédiatement ou après quelques semaines ou quelques mois de prison (semi-liberté, détention à domicile sous surveillance électronique, etc.). Ce qui est nouveau, c’est que le ministre souhaite que la mise à exécution de celles-ci, y compris lorsqu’elles s’exécutent en prison, soit beaucoup plus rapide : « L’intérêt de la peine, ce n’est pas le quantum de la peine qui est prononcée, c’est la rapidité de l’exécution de la peine ». Dans ce cadre, il envisage d’ouvrir de nouvelles prisons qui leur seraient dédiées, de taille humaine et plus faciles à construire (notamment par l’utilisation de bâtiments désaffectés déjà existants).

Nous ne pouvons qu’être favorables à cette annonce si un calendrier cohérent est respecté et si des moyens adaptés sont alloués. Avec 80787 détenus pour 62404 places au 2/01, les prisons débordent déjà et il ne serait pas entendable de commencer la mise en oeuvre de cette politique immédiatement puisque les nouveaux détenus viendraient gonfler des effectifs déjà trop nombreux pour être pris en charge correctement. L’ouverture de nouveaux établissements, quelles que soient leur taille et leur affectation de départ, est donc le préalable à la mise en oeuvre de cette nouvelle politique. Autrement dit, l’annonce politique a été quasiment immédiate mais sa mise en œuvre ne pourra pas intervenir avant un an ou deux au moins, le temps de transformer des bâtiments en prison, les équiper, les sécuriser (même a minima : on peut s’abstenir de dispositifs lourds en matière de prévention des évasions puisqu’il s’agira de courtes peines, mais en revanche tout ce qui permet la porosité entre l’extérieur et l’intérieur devra être proscrit, sinon ces structures feront l’objet de projections d’objets depuis l’extérieur, voire d’intrusions de personnes).
Le SNDP se félicite du choix de construire des établissements à taille humaine mais rappelle que c’est dans l’intérêt du personnel et des personnes détenues que des détentions à petits effectifs peuvent être ouvertes, pas dans l’espoir de faire des économies en matière de ressources humaines. En effet, spécialiser certains établissements aux courtes peines ne permet aucune économie en la matière : ces détenus devront bénéficier d’un accompagnement de qualité par des surveillants et des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation suffisamment nombreux et formés pour que ces peines aient un sens et pour éviter une récidive à leur sortie quelques mois plus tard. Il devra également être précisé si ces structures seront autonomes ou rattachées à de gros établissements pré-existants. En tout état de cause, leur pilotage devra également être à la hauteur, avec la mobilisation de directeurs des services pénitentiaires (DSP) et de directeurs pénitentiaires d’insertion et de probation (DPIP) sur ces ouvertures, notamment dans la perspective de construire les partenariats nécessaires à la bonne qualité du lien entre dedans et dehors (missions locales, France-Travail, organismes de formation professionnelle, entreprises d’intérim, MDPH, associations, etc.).

Le nouveau ministre a été assez vague sur ce qui constitue une courte peine. Depuis quelques jours, il précise qu’il pourrait s’agir « de mois, de semaines, voire de jours ». De ce point de vue le SNDP est beaucoup plus dubitatif. Si des peines de plusieurs mois sont aujourd’hui prononcées, il doit être rappelé que les peines de moins d’un mois de prison sont aujourd’hui interdites dans notre droit. Ces sanctions de quelques jours, ou quelques semaines, dites ultracourtes peines de prison, ont aujourd’hui le vent en poupe dans les médias et pour une partie des responsables politiques en ce qu’elles auraient des vertus dissuasives indéniables. Les observateurs avisés se souviendront qu’on en vantait déjà les mérites dans le précédent gouvernement, mais curieusement pas par l’intermédiaire du ministre de la justice de l’époque, Didier MIGAUD, mais plutôt celui de l’intérieur, Bruno RETAILLEAU.

A cet égard, le SNDP-Cfdt rappelle son opposition à la mise en œuvre des ultracourtes peines (UCP). Leur seul avantage pressenti est la dissuasion : on imagine qu’un délinquant qui doit purger une semaine de prison récidivera moins que s’il faisait l’objet d’un suivi en milieu ouvert, même sur six mois, de peur de devoir être réincarcéré sur une plus longue période. Il s’agit là d’une vision populiste, qui ne s’appuie sur aucun travail scientifique permettant de disposer de données probantes (sont certes cités quelques exemples étrangers mais ceux-ci n’ont pas fait l’objet d’une analyse scientifique). En revanche, les chercheurs ont au contraire montré que les UCP ont plus de consé-quences négatives que positives (v. par ex. D.A. ANDREWS et J. BONTA, Le comportement délinquant, analyse et modalités d’intervention, 5ème éd., 2015, ou l’étude de référence de Pierre LALANDE, Punir ou rétablir les contrevenants ?, 2004). Le seul effet de quelques jours de prison, c’est la mise au ban temporaire de la société : pas d’accompagnement, pas d’identification des besoins de la personne détenue pour mener une vie plus responsable, pas de réinsertion en si peu de jours. En outre, ces UCP présentent des risques que l’administration pénitentiaire devra juguler : le choc de l’incarcération, voulu par les défenseurs des UCP comme un « électrochoc », peut générer des suicides, des incidents graves, etc. Par ailleurs, quelques jours de prison seulement peuvent tout de même avoir un effet très désocialisant (perte d’emploi, de logement, rupture familiale, etc.) ; or la socialisation est l’un des marqueurs permettant de lutter contre la récidive. Favoriser les UCP, c’est prendre le risque d’aggraver la situation en termes de récidive. C’est ce qui s’est passé aux Etats-Unis à partir des années 1970 avec le mouvement « nothing works » : les UCP favorisant le choc de l’incarcération ont abouti à une augmentation de la récidive au lieu de la prévenir. Pour le SNDP-Cfdt, le public visé par les UCP devrait au contraire faire l’objet d’un suivi renforcé en milieu ouvert. De ce point de vue, manquent déjà des moyens pour le milieu ouvert, qui lui aussi connaît une im-portante surcharge du fait d’un nombre de probationnaires chaque jour plus important. Si l’on veut promouvoir l’exécution rapide des courtes peines, il n’y a donc pas que dans les prisons qu’il faudra mettre les moyens.

Un autre argument, plus terre à terre, doit également être rappelé : les UCP ont un coût énorme pour la société. Choisir, même pour quelques semaines, l’incarcération en lieu et place du milieu ouvert, c’est encore plus grever les finances publiques tant le coût d’une journée de détention est élevé (environ 110€ par personne). Certains élé-ments vont de soi (plus de repas, plus d’électricité, plus d’eau, plus de chauffage, etc.), d’autres beaucoup moins, notamment le coût en ressources humaines qu’engendrerait le développement des UCP (escorte du tribunal vers la prison, greffiers et comptables à l’arrivée, personnels pour prendre en charge les arrivants en UCP : détention, SPIP, psychologues, etc.) ou encore l’application de certains textes réglementaires (par ex., un don de 20 € est systémati-quement versé pour les arrivants sans ressource, que ne manqueraient pas d’être en grande partie les détenus en UCP). Nos citoyens sont-ils prêts à payer plus d’impôts pour une mesure aussi court-termiste ?

A notre sens ces arguments sont suffisamment forts et nous redisons notre opposition à ces UCP qui nécessiteraient une loi pour faire disparaître l’interdiction des peines de moins d’un mois et de nouveaux établissements pour les exécuter ; leur mise en œuvre ne pourra donc en aucune manière être immédiate. En outre, le développement des UCP aurait un impact sur tous les autres détenus, rendant encore plus difficile leur prise en charge, et plus longs le traitement des requêtes, les files d’attente pour des soins psychiatriques ou addictologiques indispensables pour de nombreux détenus, l’accès au travail, à la formation, à l’école, etc. Enfin, alors que l’on constate une forte attente des citoyens sur les criminels endurcis et les trafiquants d’envergure, leur suivi sera affaibli par un alourdissement supplémentaire de la population pénale, ce qui apparaît à contre-courant du souhait du gouvernement.

En ce qui concerne ce que le ministre nomme les « trois murs très inquiétants pour la nation : le narcobanditisme, la surpopulation carcérale et les délais d’audiencement des procès », nous lui ferons part lors d’une prochaine rencontre de l’intérêt que nous portons aux moyens qu’il envisage pour lutter contre la surpopulation carcérale qui empêche la mise en œuvre utile de toute autre action.

D’ici là, et parce qu’il faut agir tout de suite au-delà des effets d’annonce,
Le SNDP-Cfdt demande le lancement d’une étude sur la récidive des sortants de prison, afin de distinguer ce qui fonctionne en termes de prévention de la récidive et ce qui ne fonctionne pas, et s’adapter en conséquence avec des moyens dédiés. Aujourd’hui il n’y pas d’étude permettant d’établir une concordance entre la récidive et les régimes de détention, entre la récidive et le type de programme/activité suivi en milieu fermé, etc.
Le SNDP-Cfdt insiste sur le soutien du développement du milieu ouvert piloté par les SPIP. La réponse rapide aux actes de délinquance est une nécessité, mais pour la petite délinquance elle doit être prioritairement tournée vers une montée en puissance des outils et ressources à la disposition du milieu ouvert plutôt que vers la prison par le biais d’UCP dont la valeur ajoutée est discutable.
Le SNDP-Cfdt réaffirme la nécessité d’une régulation carcérale.

Le secrétariat national du SNDP-Cfdt

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