Projet de loi de programmation sur l’exécution
des peines: des moyens pour quelles fins?
Lors d’une audition organisée par la sénatrice Nicole BORVO, le SNDP a exposé son point de vue sur le projet de loi de programmation relatif à l’exécution des peines.
Certaines dispositions du texte nous semblent aller dans le bon sens. Parmi elles, l’association du médecin traitant au suivi de l’exécution de la peine en milieu fermé comme en milieu ouvert, ainsi que la procédure d’incitation des internes en psychiatrie à assurer la prise en charge des personnes sous main de justice, et aussi l’annonce de l’investissement de 284 millions € dans les services d’information de la chaîne pénale (Cassiopée, Génésis, APPI), dont le fonctionnement est parfois ubuesque aujourd’hui.
Le projet prévoit aussi de décharger définitivement les SPIP des enquêtes pré-sentencielles au profit du secteur associatif habilité. Si le principe-même est déjà discutable, que dire de l’effectivité d’une telle intention, avec un secteur associatif déjà sous-subventionné?
De l’argent pour construire des prisons, rien pour financer le contenu des peines qui s’y exécuteront
Pour le reste, et pour l’essentiel, ce projet de loi a été construit sur le « scénario 4 » envisagé par l’étude d’impact (elle-même s’appuyant sur des données statistiques aseez opaques), à savoir le plus pessimiste quant à l’évolution de la délinquance dans notre pays, et il est donc celui qui comporte le plus grand nombre de places de prison: 80 000, qui doivent être disponibles à l’horizon 2017. Le choix de l’option la plus carcérale a donc été opéré.
Il est de notre devoir de dire solennellement , en tant que professionnels de l’exécution des peines, que, quel que soit le chiffre retenu (40 000, 60 000, 80 000 places ou plus) selon les projets politiques qui seront soumis au débat électoral dans les prochaines semaines, le numerus clausus devra être appliqué. Cela impose un changement des pratiques, notamment des magistrats.
Au-delà des standards en vigueur pour les cellules, les conditions de détention devront être améliorées, cette acception devant inclure les possibilités d’activité offertes aux personnes détenues, mais aussi une architecture repensée.
Le débat doit éviter l’écueil de l’opposition enfermement-milieu ouvert. Pour le SNDP, c’est aussi de la faculté de s’appuyer sur un milieu fermé solide et bien dimensionné, dissuasif et complémentaire que dépend l’efficacité des aménagements de peine en milieu ouvert. Nous regrettons sur ce point l’absence de vision dans ce projet de loi de programmation, pour l’administration pénitentiaire.
Le développement du PPP malgré les risques qu’il entraîne
Un autre point important, s’agissant de la construction de 30 000 nouvelles places (pour un solde net de 20 000) en 5 ans, est le mode de passation des marchés de construction puis de fonctionnement (« d’exploitation » comme le dit le projet) des établissement.
Le partenariat public-privé (PPP) est maintenu pour près de la moitié des places, en dépit des risques qu’il présente tant pour l’état quantitatif des finances publiques que pour la souplesse de l’exécution budgétaire.
La procédure de dialogue compétitif serait étendue à la procédure de conception-réalisation. Cette procédure est intéressante autant d’un point de vue qualitatif que quantitatif, raison pour laquelle nous y sommes favorables. Il convient tout de même de savoir qu’elle est chronophage pour les services en assurant la conduite. Il est d’ailleurs prévu que « les effectifs de l’agence publique pour l’immobilier de la justice (APIJ) seront temporairement renforcés ». Il est réaliste de le prévoir, mais il est nécessaire que les départements des affaires immobilières (DAI) dans les directions interrégionales des services pénitentiaires, et plus encore le bureau de affaires immobilières de l’administration pénitentiaire (dit SD3) soient également renforcés, car c’est là que se trouvent les professionnels, qui ces dernières années ont subi une situation d’infériorité face à l’APIJ, au point que le rapport s’est inversé entre eux. L’APIJ est là pour porter assistance technique à l’AP, et non l’AP pour être le « consultant » pénitentiaire de l’APIJ (qui n’a cessé d’étendre son influence, ne trouvant pas de résistance face à elle, et même un consentement tacite de la part de nos dirigeants politiques).
Des directeurs de projets pour améliorer la procédure de mise en service de ces nouvelles structures :
A l’occasion de la construction de ce nouveau programme (pour 3 milliards €, soit 100 000€ la place), le SNDP renouvelle son souhait de voir nommés de vrais chefs de projets sur les ouvertures d’établissements.
Des créations d’emplois imprécises
Le projet de loi de programmation entend créer 6000 emplois pénitentiaires. En réponse à une question de madame Borvo sur les besoins catégoriels, nous avons pour notre part rappelé qu’en 2010 notre estimation était un manque de 130 directeurs des services pénitentiaires (520 aujourd’hui). Estimation à reprendre pour l’horizon 2017, tenant compte aussi de la conception du métier (et les organigrammes conséquents) que retiendra l’administration centrale. D’ores et déjà nous pouvons affirmer que ce n’est pas en recrutant 11 directeurs par an que l’administration pénitentiaires préparera un projet de construction aussi ambitieux.
La nouvelle classification des établissements :
Le SNDP s’est étonné de la nouvelle classification des établissements pénitentiaires souhaitée par le gouvernement, et plus encore des appellations envisagées: il y aurait dorénavant 4 types d’établissements, classés par degré de sécurité passive:
–les établissements à sécurité renforcée,
–les établissements à sécurité allégée,
–ainsi que les établissements à sécurité normale (bel exercice que de définir ce concept)
–et enfin ceux à sécurité adaptée (a contrario, la question se pose donc de la rationalité-même des 3 autres…).
Nous n’ignorons pas le souci du gouvernement de réduire les coûts de fonctionnement des établissements, principalement sur la masse salariale. Aussi, par cette nouvelle classification, s’agit-il de réduire au maximum le nombre de miradors (moins 48 sur 250 d’ici 2013), chacun d’eux absorbant l’équivalent de 7 agents à temps plein. Cependant, le SNDP est favorable depuis longtemps à une certaine spécialisation des établissements, tant il est vrai que le mélange de personnes aux profils très différents dans une même prison peut aboutir à maximiser les contraintes de sécurité pour des publics ne le justifiant pas, et à imposer aux plus fragiles à une véritable maltraitance administrée. Pour autant cette diversification doit reposer sur des critères opérant et efficace et sur ce point nous exprimons beaucoup de réserve quand à la création des quartiers courtes peines ou « nouveau concept ».
Des quartiers courte peine dont l’efficacité reste à démontrer :
Le projet de loi prévoit de mettre l’accent sur les courtes peines et sur les préparations à la sortie, avec 270 places de semi-liberté, 5847 de courtes peines et 1650 de « nouveau concept ».
A la différence de la semi-liberté, dont le coût est avantageux et l’effet anti-récidive prouvé, et qui concerne aujourd’hui un nombre croissant de condamnés qui y terminent une longue peine (elle devient même obligatoire depuis la loi du 10 août 2011 à titre probatoire pour toute mesure de libération conditionnelle lorsque la peine prononcée est supérieure à 15 ans), l’utilité des QCP ou futurs ECP est d’ores et déjà discutable, le bilan des premières expériences n’ayant de plus pas été dressé. C’est la question même de l’efficacité des courtes peines en terme de prévention de la récidive qu’il convient de poser. L’expérience française mais aussi étrangère comme en Suisse en attestent: faute d’un temps suffisant pour travailler avec la personne détenue, la peine d’incarcération s’avère improductive. Aussi est-il douteux que la création de quartiers spécifiques pour les administrer puisse y changer grand chose.
La question mal posée de la prévention de la récidive
La prévention de la récidive reste au cœur de nos métiers et la mission pénitentiaire principale. Aussi le Syndicat National des Directeurs Pénitentiaires estime-t-il que les services pénitentiaires d’insertion et de probation devront être renforcés, certes dans leurs méthodes de travail et dans les équipements mis à leur disposition, mais aussi en nombre d’agents. C’est pourquoi nous contestons le choix du gouvernement de privilégier les conclusions du rapport d’octobre 2011 commun à l’Inspection générale des finances et à l’Inspection générale des services judiciaires, plutôt que celles du groupe de travail de la Chancellerie de mai 2011 qui évaluait les besoins entre 200 et 600 personnels d’insertion et de probation supplémentaires.
Le diagnostic à visée criminologique (DAVC) doit être généralisé, comme le prévoit le projet de loi, et sans cesse enrichi; il est un outil dont il serait dommageable de ne pas se servir. Plus largement, ce sont tous les personnels pénitentiaires qui devraient faire l’objet d’une formation en criminologie, discipline balbutiante en France mais dont le développement et la professionnalisation doivent être soutenues. Sur ce point, aucune mention n’apparaît dans le projet de loi.
La surveillance électronique de fin de peine (SEFIP), entrée en vigueur en 2011, a tardé à être mise en œuvre, du fait de sa nouveauté et de la nouvelle organisation de travail en résultant pour les SPIP et les Parquets, mais aussi du fait d’un contenu de mesure assez faible, donnant l’impression qu’elle servait surtout à « vider » les prisons que les peines plancher et autres mises à exécution tardives venaient remplir. Si la désocialisation reprochée à la prison est évitée par le placement sous surveillance électronique et ses actuelles multiples modalités, la réinsertion n’est pas pour autant gagnée avec ces dispositifs – la SEFIP étant d’ailleurs une modalité d’exécution de peine en milieu ouvert plutôt qu’une peine aménagée au sens traditionnel du terme, c’est-à-dire s’inscrivant dans un projet de réinsertion.
Plus largement cependant, c’est la question de l’adaptation de telles mesures à de nombreux justiciables aux capacités personnelles insuffisantes pour gérer des horaires stricts qui est posée. Il conviendrait de pouvoir travailler l’acquisition de cette « compétence sociale » en amont de la mise en œuvre du « bracelet » sous toutes ses formes, pour éviter qu’elle se traduise par un nouvel échec dans le parcours de ces personnes.
La question jouxte à nouveau celle des courtes voire très courtes peines, parfois décrites comme « la plaie du système pénitentiaire » et qui constituent la majorité des 85 000 peines d’emprisonnement ferme en attente d’exécution.
Il s’agit bien souvent de peines qui ponctuent un parcours pénal multirécidiviste, fait de rappels à la loi et de condamnations à l’emprisonnement avec sursis simple, sursis avec mise à l’épreuve, travaux d’intérêt général. Il est nécessaire que la société adresse un message ferme et une réponse efficace aux auteurs d’infractions, même mineures, surtout si elles sont répétitives. C’est là une question très politique, une question de société, celle de la doctrine et des modalités de contrôle judiciaire et de contrôle social des personnes délinquantes, qui est alors posée.
L’exécution des peines est un pan trop important de la politique de sécurité pour être traitée de façon partisane, encore plus dans une optique électoraliste.
Loi de programmation executions des peines – des moyens pour quelles fins