Mécontentement chez les DPIP
Le syndicat national des directeurs pénitentiaires (SNDP-CFDT), comme les deux autres organisations professionnelles représentant les directeurs pénitentiaires d’insertion et de probation (DPIP), a été saisi par plus de 200 d’entre eux au travers d’une lettre ouverte début juillet. Cette lettre ouverte caractérise un niveau inégalé de mécontentement après de nombreux mois d’insatisfactions et de déconvenues. Elle fait suite à une double incompréhension : incompréhension face à l’absence de revalorisation indemnitaire immédiate des DPIP en miroir de celle, méritée, des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) qu’ils encadrent ; incompréhension à la suite de votre tweet qui reconnaît pour les CPIP « leur expertise particulière en matière de lutte contre les violences familiales » sans évoquer celle des DPIP ni même leur rôle en la matière.
Nous espérons que ce tweet résulte simplement d’une maladresse et que vous êtes pleinement conscient du rôle déterminant des DPIP quant à la lutte contre les violences intrafamiliales, en termes de pilotage et de contrôle du travail des CPIP, de construction de partenariats, de liens quotidiens avec les magistrats du siège et du parquet sur ces sujets. Un signe de votre part rappelant la forte implication des DPIP en la matière, permettrait sans doute de commencer à dissiper ce malentendu.
En revanche, l’absence d’avancée indemnitaire des DPIP, qui aurait pu être un moyen de redonner confiance à ce corps dans l’attente d’une véritable avancée statutaire depuis des années, révèle un malaise beaucoup plus préoccupant. Nous paraissant peu au fait des compétences et des aspirations des DPIP, pas plus que de leurs préoccupations quotidiennes, permettez-nous de vous dire ce que sont les DPIP.
DPIP : directeurs pénitentiaires gérant la majorité du public placé sous main de justice
Si les médias, l’opinion publique, et même une partie du monde politique ont toujours le sentiment que l’activité principale de l’administration pénitentiaire est d’enfermer des délinquants, il est moins souvent dit que cette administration prend en charge près de deux fois plus de personnes en milieu ouvert qu’en milieu fermé. Or, ces personnes sont exclusivement suivies par les SPIP, dont les équipes de direction sont composées de DPIP.
Le nombre de ces personnes augmente au même rythme qu’augmente l’incarcération. Au 31/12/2021 : 82 000 personnées écrouées / 169 700 personnes suivies en milieu ouvert. Au 31/03/2022 85 000 (+ 3000) personnes écrouées / 174 650 (+4950) personnes suivies en milieu ouvert
DPIP : pilotes du changement, garants de l’évolution et de la professionnalisation des SPIP
Les SPIP ont évolué vers plus de professionnalisme et vers une réelle expertise des personnes qui leur sont confiées. Cette évolution est le fruit du travail de pilotage par les cadres de la mise en œuvre d’un référentiel des pratiques professionnelles (RPO), dont l’application ne se fait pas sans douleur compte tenu de la charge de travail des services et des freins idéologiques de certains collaborateurs.
DPIP : représentants de l’administration pénitentiaire sous identifiés dans le paysage institutionnel
Des prises en charges sensibles
Depuis le séisme de Pornic (affaire Tony Meilhon), mais aussi plus récemment depuis le féminicide de Mérignac, les prises en charge des dossiers sensibles, demandant une vigilance plus forte, se sont accentuées (violences intrafamiliales, auteurs d’agression à caractère sexuel, terrorisme et radicalisation), que les personnes soient prévenues ou condamnées, suivies en milieu ouvert ou en milieu fermé. La sensibilité d’une prise en charge peut ainsi découler de l’évaluation structurée, telle que prévue dans le RPO, mais également du type de mesure ou encore de la médiatisation de la situation. En milieu ouvert, dans certains services, ces dossiers « sensibles » peuvent ainsi constituer plus du tiers d’un effectif !
Cette demande de vigilance a d’ailleurs entraîné une forte évolution des missions des cadres en SPIP. Ils sont aujourd’hui les garants de la mise en œuvre de dispositifs de suivi permettant d’assurer cette vigilance renforcée et de leur bon fonctionnement. Ils constituent l’interface entre leur service et les autorités partenaires (préfecture, forces de l’ordre, magistrats, etc.) et jouent un rôle de coordination de l’action transversale de l’Etat, comme en témoigne le rapport d’inspection relatif à l’affaire de Mérignac. En outre, ces évolutions ont conduit l’administration à demander aux DPIP de mettre en place des astreintes, jour et nuit, week-end compris, renforçant leurs responsabilités dans la gestion des situations de crise et confortant leur rôle d’interlocuteur des parquets, préfets, commissariats, etc.
Nouvelles missions sans compensation
La loi pour la confiance dans l’institution judiciaire a notamment entraîné une augmentation importante du nombre d’enquêtes devant être réalisées par les SPIP dans le cadre des détentions provisoires. Si les DPIP ne sont pas celles et ceux qui prennent en charge, ils sont les garants des procédures ainsi mises en œuvre (de l’affectation des dossiers à l’archivage), du contrôle de l’effectivité des prises en charge et de l’application des pratiques professionnelles. Comme les autres cadres de direction de cette administration, ils sont la cheville ouvrière de la mise en œuvre des réformes nombreuses de la Justice.
Les nouvelles missions confiées aux SPIP ces dernières années supposent en outre un travail partenarial sans cesse accru (développement des stages, des activités collectives,du TIG, etc.). L’entretien de ce tissu, la gestion des relations, des conventions, des finances qui s’y rapportent, l’évaLes nouvelles missions confiées aux SPIP ces dernières années supposent en outre un travail partenarial sans cesse accru (développement des stages, des activités collectives, du TIG, etc.). L’entretien de ce tissu, la gestion des relations, des conventions, des
finances qui s’y rapportent, l’évaluation de ces partenariats, font désormais partie des axes majeurs du travail des DPIP. Présents aux conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance, aux commissions FIPD, dans les instances préfectorales (groupes d’évaluation départementaux -GED, cellules de prévention de la radicalisation et d’accompagnement des familles – CPRAF, etc.) , les DPIP sont de véritables couteaux suisses qui doivent cultiver leur expertise et leur implication dans des sujets très divers et dans des territoires souvent très vastes.
Or, ces évolutions de la profession des DPIP ne sont nullement prises en compte dans leur statut ou dans leur rémunération (indiciaire comme indemnitaire). Il y a quinze ans, la Cour des comptes soulignait déjà la faiblesse de la réflexion institutionnelle sur le corps des chefs de service en SPIP : « la faiblesse de l’encadrement au sein des SPIP […], l’absence de perspectiveréelle d’évolution pour ceux ayant accepté de devenir directeurs départementaux ou adjoints,[…] la faible attractivité du statut des chefs de service d’insertion et de probation au regarddes responsabilités qui leur incombent,[…] sont à l’origine d’importantes difficultés derecrutement » (rapport du 10 janvier 2006 intitulé « Garde et réinsertion – La gestion des prisons »). Nous sommes au regret de constater que la situation s’est encore aggravée depuis. Si les CPIP sont reconnus aujourd’hui comme des experts de l’évaluation et de la prise en charge et ont, à juste titre, vu leur statut comme leur rémunération revalorisés, il n’en est rien des DPIP malgré nos nombreuses demandes en ce sens. L’accroissement des responsabilités et la complexification des missions a simplement eu pour corollaire une augmentation de la durée de la formation initiale – qui est passée d’une à deux années – et la création des astreintes…
Hémorragie chez les DPIP
Le corps des DPIP compte actuellement 647 membres, dont 43 élèves, selon la direction de l’administration pénitentiaire (DAP). Du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2021, 93 détachements ont été réalisés. Sur ces détachements, 65 étaient sortants et seulement 28 entrants. Selon les propres calculs de la DAP, la tendance est du reste à l’augmentation du nombre de détachements sortants : ils ont triplé entre 2017 et 2021. Plus qu’un signe, cette explosion des détachements est un manifeste, par ailleurs non compensé par les détachements entrants (qui ne sont passés que de quatre à huit sur la période). Autre constat alarmant : cette année sur les 22 postes proposés au concours interne, seulement 6 ont été pourvus. Ne pas reconnaître que la fonction n’attire plus pourrait s’apparenter si ce n’est à de la mauvaise foi, tout le moins à une absence de clairvoyance et d’analyse.
Aujourd’hui, les directeurs demandent
- La sortie de la filière sociale, nullement adaptée à la réalité de leurs missions ;
- Un statut représentatif de leur rôle au sein de l’administration pénitentiaire et du ministère de la Justice ;
- Une revalorisation des grilles indiciaires alignées sur le A+ ;
- La fusion des corps de DSP et DPIP, à l’image du fonctionnement de la magistrature.
A l’heure où les Etats-Généraux de la justice accouchent d’un rapport ayant pour ambition de moderniser l’institution et d’apporter un remède à ces maux, nous considérons que la révision en urgence du statut des DPIP est indispensable.