L’IGAP : le pourquoi et le comment

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Contexte : retour vers le futur ?

Le 23 janvier 2025 à l’ENAP, un ex-ministre de l’intérieur récemment nommé garde des sceaux, annonçait en même temps que la création d’une police pénitentiaire et d’une direction générale de l’administration pénitentiaire (DGAP), la naissance à venir d’une inspection générale de l’administration pénitentiaire (IGAP).

Ces annonces s’inscrivaient dans le contexte sensible de la série d’attaques commises au nom du DDPF mais intervenaient surtout moins d’un an après le drame d’Incarville. Elles répondent notamment à un besoin légitime de sécurisation des personnes et des missions.

Cette décision s’apparente-t-elle à un retour en arrière, l’inspection des services pénitentiaires (ISP) ayant disparu le 5 décembre 2016 suite à son absorption par l’inspection générale de la Justice (IGJ) ?

La correspondance assumée avec le fonctionnement de la place Beauvau annonce-t-elle un rapprochement vers un ministère de l’intérieur dont l’administration pénitentiaire s’est affranchie depuis 1911 ?

Pourquoi : remplacer le besoin par l’envie ?

Le document de présentation adressé aux OS justifie la création de l’IGAP par la nécessité de « renforcer le contrôle, le conseil et l’évaluation du fonctionnement de l’administration pénitentiaire et de ses établissements dans une logique d’accompagnement, d’analyse et de préconisation ».

Elle serait garante de l’éthique et de la déontologie.

Si la préoccupation première des professionnels demeure la lutte contre la surpopulation carcérale et, soyons fous, le respect de l’encellulement individuel, personne ne peut nier la problématique corruptive ni les dysfonctionnements qui affectent notre quotidien.

Les DISP ne disposent pas des moyens suffisants pour diligenter des investigations à chaque fois que des évènements le justifieraient. L’IGJ n’a réalisé que 14 inspections de fonctionnement en 2024. Les agents comparaissent en conseil de discipline national, de longs mois après les faits, sans que ce temps soit mis à profit pour réaliser une enquête administrative sérieuse susceptible d’éclairer la prise de décision de la DAP.

L’intérêt de travailler sur le renforcement des moyens dédiés à ces problématiques est donc réel.

La question est toutefois davantage de savoir si la réplication du modèle en vigueur au ministère de l’intérieur constitue une nécessité ou un penchant ; un besoin ou une envie.

Comment : la fin sans les moyens ?

L’IGAP serait placée sous la responsabilité du directeur général de l’administration pénitentiaire. A cette occasion, elle prendrait du galon par rapport à son ancêtre ISP puisqu’elle aurait rang d’administration centrale.

Le projet présenté aux OS décline l’IGAP en 4 missions dont les deux premières sont assez claires :

  • Une mission des inspections et des enquêtes qui réaliserait des inspections consécutives à des dysfonctionnements au sein d’un service ou d’un établissement (inspections de fonctionnement actuellement réalisées par l’IGJ) ainsi que des « enquêtes internes » qui semblent correspondre à des enquêtes pré-disciplinaires, consécutives à la commission de fautes par des agents (enquêtes administratives selon la terminologie IGJ).
  • Une mission de prévention des risques et des études qui réaliserait les contrôles de fonctionnement actuellement réalisés par la MCI.
  • Une mission de la protection des personnels et de la déontologie, pour « conseiller, prévenir, détecter toutes les atteintes à la déontologie et animer le réseau des correspondants déontologie» (une déclaration d’intention dont il reste à savoir ce qu’elle recouvre).
  • Une mission d’appui et de conseil, pour … « appuyer et conseiller» (sic) les encadrants, ce qui semble s’apparenter à du coaching.

Si le modèle est, comme tout le laisse à penser, celui de l’inspection générale de la police nationale (IGPN), intéressons-nous aux moyens dont cette dernière dispose : 261 agents répartis entre une division nationale des enquêtes et 8 délégations régionales. L’IGPN a réalisé, en 2023, 167 enquêtes administratives pré-disciplinaires, 1015 enquêtes judiciaires, 9 missions d’évaluation et 3 inspections de fonctionnement. Avec un tiers des effectifs de la police nationale, l’administration pénitentiaire devrait alors dégager environ 90 agents pour soutenir la comparaison…

Tout projet s’inspirant de ce modèle serait par conséquent très ambitieux, dans un contexte budgétaire plus que contraint. Surtout, les ETP nécessaires ne devraient-ils pas être prioritairement déployés vers des établissements exsangues plutôt que pour supporter de nouvelles charges ? Un tel projet est-il bien raisonnable ? Comment comprendre qu’un tel projet ait pu être conçu et une organisation déclinée sans que ne soit posée, avant toute autre chose, la question des moyens qui pourraient y être alloués ? Cette volonté de copier à tout prix l’organisation de nos voisins de l’intérieur fait-elle seulement sens et est-elle bien raisonnable ?

La « légitimité » et « l’indépendance » de la future IGAP en question

Le projet présenté aux OS met en avant la légitimité et l’indépendance dont sera parée la future IGAP. Il n’est pas utile de développer un raisonnement complexe pour relever le paradoxe qui consiste à placer sous la responsabilité d’un futur DGAP une institution destinée à « l’évaluation du fonctionnement de l’administration pénitentiaire », tout en lui en prêtant des vertus d’indépendance.

A minima conviendrait-il de placer l’IGAP sous la présidence du chef de l’inspection générale de la justice au sein d’un collège des inspections générales. S’il faut vraiment copier nos voisins, notons que ce dispositif existe au ministère de l’intérieur ! Il réunit les quatre inspections « métier » du ministère de l’intérieur[1] et permet à son président, l’inspecteur général de l’administration, de solliciter auprès du ministre de réaliser une mission « lorsqu’une situation particulière le justifie, notamment du fait de la gravité des événements, ou de la nature ou du niveau des responsabilités exercées ».

Qu’en est-il dans l’administration pénitentiaire : une affaire de famille ?

L’IGJ, qui dispose pourtant de ce pouvoir, n’est pratiquement jamais saisie pour réaliser des enquêtes administratives de fonctionnaires pénitentiaires. Ce type d’enquête constituerait l’intérêt majeur de la création d’une IGAP face à l’absence d’étayage des actuelles enquêtes disciplinaires concernant les agents.

Pour autant, les agents d’une IGAP pourront-ils exercer avec autant de sérénité leurs missions, sans risque de partialité ? 44 000 personnels pénitentiaires pour 300 établissements pénitentiaires et SPIP font de l’administration pénitentiaire ce qu’il est convenu d’appeler une « grande famille » où beaucoup se connaissent alors que les 150 000 policiers nationaux se répartissent dans 700 commissariats.

Dès lors, pourquoi ne pas renforcer l’IGJ, le cas échéant en y intégrant d’autres corps pénitentiaire (officiers notamment), et lui confier des enquêtes administratives mais aussi davantage d’inspections de fonctionnement ? L’institution est plus indépendante mais aussi familière de la méthodologie propre à ces missions. Son caractère pluridisciplinaire permettrait de panacher les équipes et de croiser les regards pour gagner en objectivité et en finesse d’analyse.

 

[1]Inspections générales de la police nationale, de la gendarmerie nationale, de la sécurité intérieure et de la sécurité civile.

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